Interview du Directeur Général

1. Présentation stratégique du groupe

Interview du Directeur Général

ÉRIC VALLAT


Cette année si particulière a révélé la solidité du groupe,
l’engagement de nos équipes et la qualité structurelle
de nos marques, tournées vers l’avenir.


Vous avez été Directeur Général de la Maison Rémy Martin de 2014 à 2018 et vous êtes revenu comme Directeur Général du groupe en décembre 2019. Quel est votre rapport d’étonnement suite à votre retour ?

Ce qui m’a le plus frappé en arrivant, c’est la montée en puissance, l’énergie et l’enthousiasme mis au service de la responsabilité environnementale du groupe. Nous nous distinguons par un attachement très particulier à nos terroirs. Il est de notre responsabilité de les préserver afin de pouvoir les transmettre aux générations suivantes. En prenant soin de notre patrimoine et de nos terres, nous sommes résolument tournés vers l’avenir.

Au-delà de nos terroirs, il n’est plus uniquement question des qualités organoleptiques de nos produits et de leur positionnement prix, mais aussi de leur empreinte carbone. Nos objectifs dans ce domaine sont ambitieux, portés par des résultats déjà visibles.

Mon autre sujet d’étonnement est le développement et la professionnalisation de notre filiale chinoise, qui en trois ans s’est structurée de manière impressionnante, avec de nouveaux outils de pilotage de l’activité performants.

2019/2020 fut une année atypique pour le groupe, comment l’analysez-vous ?

L’année a été marquée par un contexte macro-économique particulièrement complexe. Je pense bien sûr à la crise politique à Hong-Kong mais aussi à la mise en œuvre de taxes à l’importation sur certaines catégories de spiritueux aux États-Unis à l’automne 2019. À ces facteurs exogènes est venue s’ajouter la restructuration de notre réseau de distribution en Europe, dont l’impact sera positif dans la durée même s’il est préjudiciable à court terme. Enfin, le dernier trimestre de l’année a été marqué par la crise sanitaire, qui a commencé en janvier 2020 en Chine avant de s’étendre au monde entier, nous obligeant à fermer, pour la première fois, et en même temps, toutes nos distilleries et tous nos sites d’embouteillage, de Cognac à la Barbade.

Ces vents contraires nous ont permis de gagner en agilité et de donner plus de sens encore à nos valeurs Terroirs, Hommes, Temps et Exception »). Je tiens à saluer l’engagement de tousqui a permis, tout en réduisant nos coûts avec la plus grande réactivité, de maintenir nos équipes dans le monde sans avoir recours aux subsides gouvernementaux. Car les hommes et les femmes de Rémy Cointreau sont notre richesse et l’avenir se prépare maintenant.

Vous avez annoncé un nouveau plan stratégique pour le groupe, avec des objectifs à 10 ans…pourquoi 10 ans ?

Dans notre cas, il y a au moins trois raisons fondamentales à ce choix. La première est liée au temps de vieillissement nécessaire à l’élaboration de nos produits. Lorsque nous achetons des eaux-de-vie pour nos cognacs par exemple, nous raisonnons à 10 ans, parfois 20, voire 100 ans pour Louis XIII ! 10 ans est donc notre horizon naturel.

D’autre part, un plan ambitieux suppose des objectifs ambitieux. Mais nous savons qu’il n’y a pas de voie directe, toute tracée, pour les atteindre. Il faut donc prévoir des remises en question, des phases de test, en clair une évolution du modèle d’organisation… Cela demandeplus de 5 ans.

Enfin, pour développer une vraie vision stratégique, il faut s’affranchir du budget. Or un plan à 5 ans risquerait de n'être qu’une forme d’extension. Il n’afficherait pas la même ambition et serait moins disruptif. Or notre aspiration à devenir le leader des spiritueux d’exception doit nous amener à repenser notre métier pour nous rapprocher de notre client.

Le groupe anticipe 72% de marge brute et 33% de marge opérationnelle courante d’ici 2030. Quels sont les principaux leviers pour les atteindre ?

Pour répondre en quelques mots, je vois quatre axes de progression pour accroître la profitabilité du groupe au cours des dix prochaines années. Tout d’abord, fixer des missions à chaque marque au sein de notre portefeuille, et ainsi allouer nos investissements de manière plus ciblée et plus efficace afin de maximiser la croissance et la profitabilité du groupe. Le deuxième axe consiste à nous rapprocher de nos clients, afin de mieux les connaître, d’engager un dialogue direct avec eux lorsque cela est possible. Ainsi l’un de nos objectifs est d’atteindre 20% de notre chiffre d’affaires via l’e-commerce d’ici 10 ans. Troisièmement, la division Liqueurs et Spiritueux accueille en son sein certaines pépites dont le potentiel d’expansion est important. Tout cela en intégrant un vrai plan de croissance responsable, qui aille au-delà de l’environnement. Il s’agit du quatrième levier que je souhaite évoquer, car les valeurs que nous portons joueront un rôle grandissant dans la motivation de nos équipes et de nos clients dans le monde.

En effet, vous avez indiqué que vous souhaitiez que cette croissance soit certes profitable mais aussi « responsable ». Quels sont les grands enjeux du groupe en la matière ?

Nous avons la chance « d’hériter » du passé de terres exceptionnelles. Et notre devoir est de les préserver pour les transmettre aux générations futures. Pour cela, nous avons trois objectifs très ambitieux. Dès 2025, l’ensemble des cultures qui alimentent nos distilleries, des plantations de canne à sucre aux vergers d’orangers, devront être engagées dans l’agriculture responsable, comme c’est déjà le cas pour nos cognacs. D’autre part, pour 2025 également, je souhaite que 100% de nos packagings soient écoresponsables. Enfin, nous sommes engagés dans une démarche de réduction de notre génération de CO2, afin d’atteindre, à l’horizon 2050, une empreinte carbone nulle pour toutes nos activités. Au-delà de l’environnement, une croissance responsable signifie une croissance qui promeut la diversité et l’inclusion. Cela s’applique aussi à nos propres équipes. Un comité a d’ailleurs été créé à cet effet et proposera dans les prochains mois des mesures concrètes.

Qu’est-ce qui vous rend confiant pour 2020/2021 et les années à venir ?

L’année 2020/2021 sera elle aussi marquée par la Covid. Nous manquons de visibilité mais nous nous sommes organisés pour traverser cette période difficile et nous prendrons toutes les mesures qui pourraient s’avérer nécessaires. Mais ces difficultés à court terme ne remettent pas en question notre confiance en l’avenir. Ce qui me rend confiant ? L’engagement de nos équipes, la cohérence et la complémentarité de notre portefeuille de marques (dont certaines sont tri-centenaires et d’autres des start-up de 10 ans), la qualité et le positionnement de nos spiritueux, enfin l’authenticité de nos valeurs. L’édifice est solide et nous avons une feuille de route !